De la douane à la politique, il n’y a qu’un pas que vous avez allègrement franchi, et cela semble vous avoir réussi...
• Il faut préciser que je ne suis pas passé de la douane à la politique. J’avais d’abord fait une formation en douane, j’étais inspecteur des douanes. Par la suite, je dirai que ma vocation de douanier n’était pas très solide, j’ai pensé qu’il fallait changer de métier.Je suis allé faire alors de l’administration publique, j’ai une maîtrise en administration publique et c’est de là-bas que les circonstances ont amené le président Seyni Kountché à m’identifier et il a décidé de me dégager de mon corps initial pour m’envoyer dans le commandement, dans le corps des sous-préfets et préfets. Et c’est de cette manière que le glissement vers la politique, par l’administration, s’est opéré. Car il faut dire que du temps du président Kountché, il n’était pas question de faire de la politique.
Vous avez créé le MODEN-Lumana il y a 8 mois et pour votre première participation à une présidentielle, un scrutin-test, vous avez obtenu 20%. Comment expliquez-vous ce score ?
• J’étais le président du MNSD. J’étais avec le président Mamadou Tandja. Evidemment, cette alliance entre nous deux a fait du MNSD le parti dominant de la scène politique nigérienne pendant de très longues années. Mais à partir du moment où les événements que vous connaissez sont intervenus et qu’il y a eu la rupture, il a fallu avec le retour de la démocratie voulue par les militaires que je trouve un cadre politique pour mobiliser tous mes partisans et sympathisants.
Le 10 juillet 2010, j’ai lancé le Mouvement démocratique nigérien (MODEN) Lumana african. Après 7 mois d’intenses activités, nous avons déjoué tous les pronostics tant aux municipales, aux législatives qu’à la présidentielle et pu nous imposer comme un parti politique de premier plan ; puisqu’aux municipales, le MNSD, qui est une formation vieille de 20 ans, nous devançait de quelques sièges ; ensuite, aux législatives, le MNSD a eu 26 députés et Lumana 24.
Dans les voix qui leur ont valu 26 sièges, il y a des voix de Lumana, puisque nous avons soutenu leur liste à Maradi, ce qui leur a permis là-bas de faire 17 députés ; ce qui signifie que si nous avions compéti là-bas, on aurait eu d’autres sièges.
A l’élection présidentielle, Lumana n’a bénéficié du soutien d’aucun parti, alors que le MNSD a eu les voix de l’AFDR, l’alliance qui avait soutenu le Tazartché. Ce qui m’a mis en 3e position, mais je ne m’en plains pas, car avec un parti aussi jeune, arriver à faire de tels résultats ne peut que procurer de la satisfaction.
Pourquoi n’avez-vous pas continué avec le MNSD après votre sortie de prison ?
• Mais comment aurais-je pu repartir avec le MNSD, étant donné que je suis en rupture avec les principaux responsables de ce parti, dont Seini Oumarou, qui avait usurpé ma place pendant que j’étais en prison ? Nous avons dû aller au tribunal, mais, par un jeu de mystification dont je ne connais ni la nature ni la portée et en dépit de tout bon sens et du droit, les juges ont décidé de lui laisser le parti. Je n’avais plus rien à faire là-bas. En bon philosophe, j’ai décidé de créer Lumana.
Pourtant, un long compagnonnage vous lie à Seini Oumarou ; puisque l’histoire veut que ce soit vous qui soyez parti le chercher à Abidjan alors qu’il exerçait le métier d’économiste...
• Il n’était ni économiste ni à Abidjan. C’est un opérateur économique qui vivait à Niamey et qui était tombé en faillite. C’était mon ami d’enfance et j’ai pensé que puisqu’il avait perdu son capital et son crédit, il fallait le tirer de ce mauvais pas, par la voie de la politique. Je l’ai pris avec moi et l’ai amené au MNDS, dont il n’était pas militant jusqu’en 2001.
J’ai dû l’imposer comme président de la section de Tilabéri. A ma demande, les gens de Tilabéri l’ont pris. Je pensais vraiment que c’était un ami, que je pouvais m’adosser à lui, et quand la motion de censure est intervenue le 31 mai 2007 et qu’il a fallu trouver un nouveau PM, je l’ai imposé comme Premier ministre, puisque j’étais le président du MNSD. Mais dès qu’il s’est installé, il s’est mis au service de Tandja pour me détruire.
Donc c’est ainsi faisant qu’ils se sont débrouillés pour me mettre en prison, ensuite ils ont organisé un congrès illégal pour désigner Seini Oumarou comme président, ce qu’il a accepté avec plaisir et joie. Puis ils ont travaillé à me traquer dans le monde entier pour me détruire. Dieu n’a pas permis cela. Aujourd’hui, je suis là.
D’autres ont une version différente de l’ascension de Seini Oumarou : il semble qu’il a tellement investi financièrement dans le MNSD et de façon anonyme que le président Tandja l’a recherché et imposé dans le parti...
• C’est absolument faux : il n’a pas mis un rond dans le parti, et je voudrais bien qu’il y ait une confrontation à ce sujet. Il ne s’est jamais intéressé au MNSD. Il disait qu’il ne voulait pas de la politique et je peux vous jurer sur le Coran qu’il n’a pas mis un kopeck dans le MNSD. Jamais ! Tandja ne le connaissait pas, j’étais le seul à le connaître et en matière d’argent, c’est Seini Oumarou qui me doit des sous, c’est pas moi. Il n’a jamais de sa vie mis de l’argent dans le MNSD. Il a été en faillite et c’est moi qui l’ai amené à la politique.
Revenons à vos rapports avec le président Mamadou Tandja. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné entre vous, puisque vous étiez de fait son dauphin ?
• J’ai toujours dit : En république, il n’y a pas de dauphin (rires). J’étais le président du parti et en tant que tel, après les deux mandats du président Tandja, il était probable que j’allais être investi par le parti pour être son futur candidat. Mamadou Tandja a vu les perspectives économiques et financières du Niger, fruit du travail que nous avons accompli durant les 7 ans et demi, le temps que nous avons été aux affaires.
Il a vu que les choses s’amélioraient au Niger, et il a décidé, pour des raisons qui lui sont tout à fait personnelles, de ne pas partir. Donc il a inventé l’esprit du Tazartché. Je ne pouvais pas accepter que nous violions la Constitution d’autant plus que tous les 2, nous avons juré sur le Coran de respecter et de faire respecter cette Constitution. En dépit de tout cela, il a voulu m’entraîner et j’ai refusé. C’est à partir de ce moment que nos relations se sont véritablement détériorées.
Grâce au MODEN-Lumana, le leader du PNDS, Mahamadou Issoufou, a été élu après 20 ans dans l’opposition. Quelle est votre appréciation de cette victoire ?
• J’en suis très satisfait, puisque Mahamadou Issoufou, c’est mon choix aussi. Pour le second tour, j’ai fait campagne dans toutes les zones où notre parti est dominant. Le report de voix que j’ai souhaité s’est opéré de façon parfaite sur le candidat Issoufou, j’en suis donc satisfait.
Est-ce que vous pouvez expliquer vos va-et-vient entre le MNSD et le PNDS ? Puisque vous avez fait alliance avec la Coalition (ARN) de Seini Oumarou avant de revenir vers Issoufou ?
• C’est vrai qu’au premier tour, j’ai fait alliance avec le MNSD afin de corriger un peu les insuffisances liées à la manière dont la Cour constitutionnelle a invalidé un certain nombre de listes électorales de partis politiques dans les régions.
Le MODEN-Lumana a eu des listes invalidées dans 2 régions : Maradi et Tilabéri ; le MNSD dans 3 régions ; CDS-Rahamana de Mahamane Ousmane dans 4 régions. Nous avons estimé que s’il fallait aller aux élections avec des invalidations aussi marquées, les résultats ne risquaient pas d’être assez représentatifs. L’Assemblée nationale risquait de ne pas être représentative et démocratique. Elle allait être dominée par un seul parti, ce qui n’était pas acceptable.
Donc nous avons fait cette alliance pour corriger cette insuffisance liée au nombre de listes validées. Nous nous sommes entendus alors dans la nouvelle alliance pour que, dès lors, si un parti politique de cette alliance a une liste et les autres n’en ont pas, tous les autres partis reportent leurs voix sur cette liste. Nous l’avons fait pour le MNSD à Maradi.
Le MNSD a refusé de le faire pour nous à Tilabéri. Le MNSD a donc violé le pacte, et à partir de ce moment, nous n’étions plus lié à quoi que ce soit. D’ailleurs pour nous, c’est une monstruosité : voilà un parti démocratique qui va se mettre à supporter un candidat du Tazartché. Voyez ce que cela représente comme image.
Est-ce que les scores de Seini Oumarou ne constituent pas une réhabilitation par procuration de Mamadou Tandja ?
• Pas du tout dans la mesure où ce parti était le parti dominant du Niger, écrasait toutes les autres formations politiques. Mais le simple fait qu’en 7 mois, le MODEN-Lumana fasse jeu égal avec le MNSD prouve qu’il n’y a pas eu de réhabilitation. Au contraire, il prouve un affaiblissement très marqué du MNSD.
Et si Seini Oumarou a pu aller au second tour, c’est certainement grâce aux voix des partis alliés de l’AFDR (Alliance des forces démocratiques pour la République), qui soutenaient le président Tandja. Et ils étaient au moins une trentaine de partis politiques qui soutenaient Seini Oumarou. Le MODEN-Lumana était tout seul, malgré cela, le MNDS ne l’a pas dépassé de beaucoup de points. C’est la preuve que le MNSD s’est beaucoup affaibli.
Qui dit alliance dit "deal politique". Quel est celui qui vous lie au PNDS ? Avez-vous réclamé l’Assemblée nationale, la primature ?
• Il n’y a pas de deal. C’est un choix de principe que j’ai fait. Jusqu’à présent, Issoufou et moi on ne s’est pas assis pour dire "voilà ce que tu me dois, voilà ce que je veux...". Pour moi, c’est un principe : il y a la démocratie face au Tazartché. Je défends la démocratie comme je l’ai toujours fait depuis 1990.
D’emblée, Issoufou ne m’a pas demandé de venir le soutenir, il ne pensait même pas à ça. Dès le premier tour et lorsque j’ai vu les résultats, c’est moi-même qui ai appelé Issoufou pour lui dire que je vais le soutenir. Il était agréablement surpris, très surpris. Je veux que le Niger demeure un pays démocratique.
Il ne me viendra jamais à l’esprit de soutenir des gens qui sont contre les règles de la démocratie. Mes anciens camarades ont montré suffisamment de quoi ils étaient capables en matière de violation des règles démocratiques. Mais c’est vrai qu’il est évident qu’en tant que 2e parti de cette alliance, il suffit que je demande tel ou tel poste et je l’aurais.
Mais est-ce que la finalité d’une alliance se ramène à l’obtention d’un poste ? Je ne le crois pas. Ce qui m’importe et c’est de cela que j’ai parlé avec Issoufou, c’est d’abord créer les conditions pour que le Niger bouge dans la bonne direction, que les difficultés que vivent les populations diminuent, créer une nouvelle ambiance pour que les Nigériens puissent mieux respirer, voilà l’ambition que je nourris.
Quel jugement faites-vous de cette transition militaire conduite par le général Salou Djibo qui prendra fin le 5 avril prochain ?
• La seule chose qui m’intéresse dans cette transition est que les militaires ont promis qu’ils créeraient au bout de 12 mois les conditions pour que le Niger revienne à l’Etat de droit, c’est-à-dire organiser des élections qui restituent le pouvoir aux civils. Ils ont tenu leur engagement. Je les en félicite.
Est-ce que vous pensez que cette VIIe République naissante sera à l’abri d’un coup d’Etat militaire ?
• Je pense que nous avons suffisamment vécu des expériences multiples dans ce domaine et je crois que nous en avons tiré des leçons. C’est l’instabilité liée au comportement des hommes politiques qui amène les militaires sur le terrain de la politique pour jouer aux arbitres.
A partir de maintenant, conscient de tout cela, nous avons échangé avec le président Mahamadou Issoufou sur tous ces problèmes et nous allons prendre des dispositions pour que de tels errements soient évités, pour que les militaires n’aient pas à jouer aux arbitres.