Hama Amadou : Je dois dire que ce coup d’Etat était prévisible. Il s’inscrit dans la logique de tous les actes anti-démocratiques posés par Tandja et son équipe. Pour moi, c’était à la fois une surprise et pas une surprise dans la mesure où, inévitablement, le processus engagé par Tandja ne pouvait que se terminer de cette façon. Pendant un moment bien sûr, et comme tous les Nigériens, j’avais espéré que les négociations engagées sous l’égide de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) allaient permettre d’aboutir à un compromis qui aurait pu éviter l’intervention de l’armée.
RFI : Les militaires vous-ont-ils contacté ? Saviez-vous qu’un coup se tramait ?
H.A. : Non, je n’ai pas eu de contact, ni de rapports particuliers avec les militaires qui ont fait le coup. Je suis un homme politique et je suis un démocrate. J’ai inscrit mon action dans le cœur de la lutte commune que nous avons engagée au sein de la Coordination des forces démocratiques pour la République. Nous restons toujours dans ce cadre afin que la restauration de la démocratie et le rétablissement des règles du jeu démocratique et transparent puissent à nouveau être mis en place.
RFI : Le commandant Salou Djibo et la junte militaire installent leur pouvoir à Niamey ; leur faites-vous confiance ?
H.A. : A priori, il n’y a pas de raisons pour que je doute de leur parole. Ils ont proclamé eux-mêmes que la restauration de la démocratie est leur objectif. A partir de ce moment, je suis tout à fait confiant dans leur engagement et leur parole. Et ils ont tenu à l’égard de la CEDEAO, de l’Union africaine et tous les partenaires financiers et économiques du Niger, les mêmes propos. Donc je suis fondé à les croire et je sais que l’armée nigérienne, en tout cas à travers ses officiers, a toujours fait preuve d’une parole ferme et très claire. Tandja n’est qu’un malheureux épisode même dans la vie et de l’honneur de cette armée que nous respectons tous.
RFI : Allez-vous bientôt rentrer au pays ?
H.A. : En principe, plus rien ne s’oppose à ce que je rentre. Tandja pour m’éliminer de la scène politique m’avait accablé de tous les maux. Il m’avait mis sur le dos de prétendues malversations. Comme vous le savez, j’ai même été en prison pendant dix mois. Aujourd’hui Dieu merci, la situation est éclaircie et je pense que plus rien ne s’oppose à ce que je rentre. Mais, disons qu’il n’y a pas de raison de se précipiter. Mes camarades du parti qui ont tenu fermement la barre pendant toute la période difficile de l’ère Tandja sont toujours là. Je leur fais entièrement confiance et il n’y a aucune raison pour que je fasse de la hâte ou de la précipitation par rapport à mon retour.
RFI : Il y a des charges en justice, initiées par le pouvoir de Mamadou Tanja, qui courent toujours après vous. Pensez-vous que tout cela est aujourd’hui caduc avec la chute du régime et la dissolution de toutes les institutions politiques annoncées par la junte ?
H.A. : Dans tous les cas, je pense que maintenant la justice nigérienne ne sera pas sous la pression de Tandja pour m’infliger une sanction imméritée. Le dossier est entre les mains du juge et je sais que ces dossiers, dans aucun tribunal sérieux au monde, ne peuvent faire l’objet d’une condamnation. Donc je suis tout à fait serein. Au besoin si la justice veut clore ces dossiers avec moi, j’y répondrai avec beaucoup de plaisir dans la mesure où je n’ai absolument – je dis bien absolument – rien à me reprocher sur la période des sept années où j’étais Premier ministre. Je n’ai aucune inquiétude, je n’ai aucun souci, je suis serein.
RFI : Il a un mandat d’arrêt international lancé contre vous. Nombreux sont les pays qui ont refusé de l’exécuter, la France en l’occurrence puisque vous êtes à Paris, le Nigéria et quelques autres pays africains. Considérez-vous aussi que tout ça est du passé, et derrière vous aujourd’hui ?
H.A. : C'est bien parce que le dossier qui a été à la base du mandat d’arrêt n’est pas sérieux, que tous les pays sérieux où la justice est sérieuse n’ont pas jugé utile de donner suite. Tout le monde sait que c’est avant tout un moyen politique que Tandja a trouvé pour essayer de me neutraliser.
RFI : La junte au pouvoir a déjà donné quelques éclaircissements sur son action future, c’est-à-dire réécrire une nouvelle Constitution. Vous qui avez travaillé à la précédente, que pensez-vous de cette initiative ?
H.A. : Rien que par le simple fait que Tandja a réussi à procéder à une interprétation tendancieuse de certaines dispositions de la Constitution, pour aboutir au régime illégal, je pense qu’il est important de réécrire notre constitution, en tout cas de la corriger sur un certain nombre de plans. Je pense notamment que nous devons, dans le cadre des futures consultations, sérieusement réfléchir aux problèmes des dispositions de certains articles, c’est-à-dire les pouvoirs exceptionnels à un président qui n’a pas d’honneur. Deuxièmement, il y a également cette facilité avec laquelle la Cour constitutionnelle a été dissoute. Je pense que de manière très claire, la Constitution doit prendre des dispositions pour que la Cour constitutionnelle ne soit pas susceptible de connaître un tel sort à l’avenir. De la même façon, l’absence de l’Assemblée nationale, du fait de la dissolution, a été un des motifs majeurs qui a permis à Tandja de pouvoir utiliser abusivement les dispositions des pouvoirs exceptionnels.
RFI : L’opposition s’est-elle déjà concertée et quelles relations entretenez-vous ?
H.A. : Au niveau de l’opposition, nous sommes tout le temps en concertation et nous sommes dans le cadre et dans l’esprit d’une unité forte, d’une cohésion forte, parce qu’il est évident que la classe politique nigérienne doit éviter que, du fait des rivalités et des dispersions, certains en profitent pour créer encore des problèmes. Donc nous avons véritablement décidé de rester dans le cadre de la CFDR (La Coordination des forces pour la démocratie et la République) et de continuer la lutte pour l’instauration de la démocratie et sa consolidation dans notre pays. Sans stabilité politique dans un pays, il ne peut pas y avoir de travail de développement. Donc nous avons jugé que de manière globale au niveau des grands partis politiques et de tous ceux qui ont participé à la Coordination des forces démocratiques pour la République, que nous devons désormais mettre en avant le pays et créer les conditions politiques pour que le pays bénéficie d’une plus grande stabilité et que les actions de développement se mêlent de manière plus cohérente.