Ce n'est que justice faite à la justice, mais surtout cela dénote d'une implication politique très forte, crédible et durable. Nous parlons d'une justice forte et crédible parce qu'en Afrique, s'il y a une institution qui manque de force et crédibilité, et qui pourtant se trouve être au cœur de la démocratie et de l'état de droit, au cœur de la paix et de la quiétude sociale, au cœur de la stabilité politique et institutionnelle, c'est bel et bien la justice. Regardez dans le rétroviseur, à chaque fois que notre pays a coulé, les arguments majeurs invoqués étaient de dire qu'il n'y avait pas de justice dans le pays, que ce soit la justice rendue dans les prétoires ou que ça soit la justice sociale tout court.
Pour chaque coup d'Etat survenu, vous trouverez ce mot d'une manière ou d'une autre. Il y a des drames qui se sont passés dans ce pays et dont la justice était d'une façon ou d'une autre coupable. Et à chaque fois qu'un Nigérien dit qu'il a mal et que ce mal n'a point de solution que Dieu, ce qu'il fait allusion à la justice, disons à l'injustice. Le problème N° 1 des Nigériens, ce n'est pas la faim ou le chômage, c'est l'injustice.
Car avec près de 500 participants, cette rencontre sera, depuis la Conférence Nationale Souveraine, l'un des plus grands foras que notre pays va organiser avec les représentants de toutes les régions, de toutes les couches socio-professionnelles, avec des autorités ou des personnalités indépendantes, avec une forte contribution d'experts et des personnalités étrangères. Quand nous étions encore président du Conseil Consultatif National, nous avions estimé que les problèmes institutionnels sont un linge sale qu'il faut laver en famille.
Mais il est souvent bon que nous en parlons publiquement et je profite pour vous dire que notre souhait tel que exprimé devant le ministre de la communication, que l'essentiel des plénières de ces états généraux puissent passer en direct sur les chaines et que la presse écrite en fasse un écho quotidien ; puisque avant tout c'est un dialogue du peuple nigérien avec sa justice. C'est pourquoi j'ai dit que dans tous les cas, que l'objectif sera atteint le 30 novembre 2012, car ce dialogue aura lieu.
Il y a eu très souvent des foras sur la justice qui regroupent la corporation. Cependant, nous avons décidé de faire cette rupture en organisant ces états généraux qui est une grande première et en réussissant à réunir les nigériens pour débattre des problèmes de la justice. C'est important car, nous le savons, quand un nigérien rencontre un problème de justice, il ne pense ni à manger, ni à se loger, ni à s'habiller.
Selon le diagnostic qui a été fait, quelles sont actuellement les principales difficultés qui minent le bon fonctionnement de la justice nigérienne ?
Autant vous le dire, les problèmes sont nombreux ! J'ai déjà relevé quelques problèmes soulevés par le sondage. C'est le problème de confiance et d'inaccessibilité. Le Niger est un pays très vaste et un des pays les plus pauvres au monde. Comme tel, vous le savez la justice est évidemment un service public gratuit. Mais il n'y a pas de contradiction : la justice à un coût. Ceci explique pourquoi, dans l'incapacité de s'offrir l'assistance d'un conseil, d'un avocat ou une personne avertie, l'écrasante majorité préfère lancer : ''moun baraka da Allah'', parce qu'ils ne savent même pas où commencer. L'expérience que j'ai à la chancellerie, l'essentiel de mes audiences, je peux vous le dire, sont des fausses audiences, pour la simple et bonne raison que les gens viennent me poser des problèmes qu'ils auraient dû poser à des avocats.
Naturellement, je leur réponds toujours que le Ministère de la Justice n'est pas un degré de juridiction. Aussi, je leur conseille de se référer à un avocat. Ils ne connaissent pas les procédures. Le sondage fait à Niamey ne rend pas compte en vérité de l'étendue de la crise. Car même à Niamey où les gens ont été l'école et où certains connaissent les procédures, beaucoup de personnes ne savent même pas la différence entre un magistrat du siège, et un procureur, un agent d'affaire et un notaire ou un huissier. Qu'en-est-il des brousses du pays ?
S'ajoute encore le caractère très obsolète de certains textes qui sont d'application dans notre pays et datent des temps coloniaux. Rappelez-vous simplement que c'est seulement récemment que nous avions pu modifier un décret de 1918 ou 1927 sur l'assistance judiciaire qui est une des révolutions les plus importantes que nous avons pu opérées au niveau de ce ministère. Dire que les pauvres ont droit à la justice et que lorsqu'ils n'ont pas les moyens, l'Etat doit pouvoir les assister. La vérité est que si vous partez dans un prétoire sans être assisté, vous partez pour perdre. Les juges rendront mieux leur décision si les parties sont plus ou moins éclairées sur les procédures, et sur leurs droits.
Un des problèmes les plus récurrents dans ce pays et vous le savez est le problème dans lequel ils n'y a pas d'avocat. Ce sont les problèmes fonciers, ce sont les problèmes matrimoniaux, ce sont des problèmes de succession. Quand bien même nous ne sommes pas une juridiction, nous avons essayé au ministère, d'écouter les nigériens, et de les guider. Pour écouter et guider, et pour lutter contre la corruption en milieu judiciaire, nous avons mis en place un bureau information, réclamation, de lutte contre la corruption et le trafic d'influence. C'est dire que la corruption et le trafic d'influence sont des problèmes majeurs dans le fonctionnement de notre justice.
Il faut que les gens arrêtent. La grandeur de notre Nation dépendra de la justice que nous servirons de manière égale à tous les citoyens qu'ils soient puissants ou faibles, qu'ils soient riches ou pauvres, qu'ils soient bien portants ou malades, qu'ils soient d'une intégrité physique certaine ou qu'ils soient handicapés. Depuis deux (2) ans, sous la conduite du Président Issoufou Mahamadou, nous avons fait beaucoup de changements. Il n'intervient pas dans les affaires judicaires, et lui, et le Premier ministre ! J'insiste là-dessus parce qu'un des plus grands problèmes de notre justice reste l'interventionnisme politique et social.
S'il y a encore des gens qui pensent que cette période n'est pas révolue, il faut bien qu'ils arrêtent. La justice, c'est l'application des lois, c'est l'indépendance des juges, c'est la qualité des auxiliaires. J'insiste sur l'indépendance des juges parce que l'indépendance est pour le système de justice ce que le cœur est pour le corps. Il nous est arrivé d'insister très souvent sur l'indépendance des juges dans notre société nigérienne, en oubliant que l'essentiel des problèmes vient de notre société qui ne laisse pas les juges faire leur travail. Combien de juges ont vu leurs parents mobilisés pour qu'ils rendent telle ou telle décision dans telle ou telle affaire?
Combien de juges ont vu des auxiliaires ou des collègues les approcher pour dire ceci ou cela? Or, le juge n'a aucun directeur de conscience. Le juge ne doit pas avoir aucun chef en dehors de la loi. J'étais de ceux qui ont défendu l'indépendance du parquet au Conseil Consultatif National. Mais j'étais très idéaliste.
L'insuffisance et l'absence de qualité du personnel est notre problème majeur à la justice. Sachez-le, nous n'avons qu'un magistrat pour plus de 41.000 habitants. Ce qui est très loin du standard international. 0,6 greffier pour un magistrat alors qu'aucun magistrat ne peut instrumenter sans greffier. Je ne parle même pas des problèmes d'avocats qui sont tous concentrés à Niamey. Or, je viens de vous le dire que sans assistance, un justiciable est complètement perdu dans une jungle. Vraiment, les problèmes sont nombreux. Et puisque c'est de cela qu'il sera question au cours des Etats généraux, je ne veux pas m'y étendre davantage.
Un de vos grands crédos est la restauration du climat de confiance entre la justice et les justiciables. Des actions ont été menées dans ce sens. Peut savoir lesquelles ?
La plus grande action à laquelle j'ai accordée une priorité particulière et singulière, ce sont les Etats généraux qui s'ouvriront lundi prochain. Je l'avais dit quand je prenais fonction. Je suis ministre de la Justice, donc chef du Parquet. Mon principal rôle tel qu'il est perçu dans les sociétés africaines, c'est poursuivre les infractions, les réprimer, emprisonner, surtout dans un contexte loin des engagements très forts du Chef de l'Etat, président du Conseil Supérieur de la Magistrature, et dans un pays très corrompu où le détournement des deniers publics est devenu le jeu favori de beaucoup de fonctionnaires.
Mais j'avais dit déjà à l'époque, que nous allons lui accorder un grand intérêt, dans le respect des règles, mais que surtout je perçois mon action comme une action de réformes pour réaliser les promesses du Président de la République. Les promesses du Président de la République en matière de justice sont connues : la main sur le cœur et sur le Coran, il a promis que son ambition est de faire en sorte que la justice au Niger ne soit plus la justice du prince mais la justice déléguée rendue au nom du peuple nigérien. Donc tout notre travail est de faire en sorte que la justice cesse d'être privatisée ; que la justice cesse d'être orientée ; que la justice cesse d'être instrumentalisée. Nous le faisons pour le bien de ce pays ; et nous le faisons aussi pour réaliser nos promesses.
Et c'est pour cela que l'essentiel de nos actions telles que vous les verrez ont trait à beaucoup de réformes dans le secteur, assez lentes au regard du contexte de nouvelle République où les réformes doivent venir de toute part. Très souvent dans le circuit, nous avons des textes qui doivent passer huit mois. On a fait beaucoup de réformes. Nous avons, et nous sommes les premiers, à instituer un bureau anti corruption au Ministère de la Justice ; un bureau chargé également d'informer les gens. Dans l'histoire de la justice, nous sommes les premiers à ouvrir la justice au peuple en la dotant d'un site web bien riche.
Nous sommes les premiers à instituer une agence nationale d'assistance juridique et judiciaire. Toutes ces idées ne sont pas nouvelles. Mais la priorité ne leur avait pas été accordée ou que les gens étaient mal à l'aise pour le faire. Nous sommes également les premiers à organiser les assises nationales autour de la justice. Mais le tout n'est pas de faire des assises nationales, c'est d'autoriser des débats démocratiques. C'est l'opportunité que nous donnons aux citoyens, aux magistrats, aux avocats et aux paysans de discuter de leur justice, parce que la justice est la seule chose qui distingue un bon Etat d'un mauvais Etat.
Monsieur le ministre, au bout des réformes et au bout des Etats généraux, qu'est-ce que vous souhaiterez voir changer au niveau de la justice nigérienne ?
Alors deux choses ! Au bout des Etats généraux, politiquement, j'attends que ce dialogue aboutisse à la nécessité que soit comprise définitivement dans ce pays, que la marque distinctive de la démocratie et de l'Etat de droit reste et demeure l'égalité de tous devant la loi ; qu'au lieu de se lancer la pierre, il faut que nous l'acceptions tous. Bien sûr, ça c'est l'objectif moral des Etats généraux. Mais le plus grand objectif bien sûr qui va permettre de réaliser cela, est qu'au bout de ces Etats généraux, nous arrivions au terme des discussions à dégager des solutions sûres et crédibles à l'ensemble des maux ou difficultés qui seraient identifiées et dégager aux lendemains de ces Etats généraux un programme de réformes, complet et global qui permettra à travers des projets et des actions concrètes à atteindre et à réaliser les solutions dégagées.
Je crois qu'au bout des cinq ans, nous n'allons pas finir les problèmes de la justice nigérienne. Mais tout le monde sait que le Président de la République a fait beaucoup d'efforts. Il est le seul homme d'Etat du Niger à avoir multiplié par trois le budget de la justice. Il est le seul à avoir amélioré d'emblée à plus de 50% certaines indemnités des magistrats. Parce qu'il est convaincu qu'au-delà des problèmes de textes, au-delà des problèmes des réformes, la qualité et l'intégrité du système judiciaire nigérien dépendent essentiellement et de manière cruciale des conditions de fonctionnement de la justice. Il sait et je l'ai déjà dit, qu'il va devoir encore mettre la main à la poche pour redresser la justice nigérienne qui est loin de se porter bien.
Elle va mal ; elle n'a pas les moyens humains, elle n'a pas les moyens matériels, les conditions morales sont déplorables, la quantité et la qualité des agents, la perception de la société, l'étau dans lequel elle est serrée. Il sait que beaucoup d'efforts restent à faire dans les trois prochaines années pour espérer encore une amélioration qualitative de ces perceptions. Nous sommes loin d'avoir réussi à résoudre les problèmes de la justice nigérienne en deux ans. Nous ne disons pas qu'au terme des Etats généraux, ils seront définitivement résolus.
Mais ces Etats généraux, permettrons de réunir dans un consensus national l'ensemble des nigériens autour de la compréhension des problèmes de la justice, de leur étendue, mais également un consensus national sur les solutions qu'il convient de leur apporter parce qu'en définitive au terme de ces Etats généraux les programmes, les projets, les actions et les réformes que nous attendons devrons être mises en œuvre sur les cinq prochaines années pour atteindre les standards tel que nous les percevons.
Quel est, Monsieur le ministre, l'appel que vous aimerez lancer à la veille de la tenue de ces Etats généraux, aussi bien aux participants qu'à l'ensemble des justiciables nigériens ?
Les Etats généraux n'ont pas vocation à être un tribunal contre les juges ni contre les avocats. Il s'agit d'un tribunal de la justice nigérienne donc un tribunal du peuple nigérien et de ses pouvoirs publics. La commission préparatoire a relevé l'ensemble des problèmes. Les magistrats ne cachent pas qu'il y a des problèmes. Ils ne cachent pas qu'il y a dans le corps des personnes indélicates ; ils ne cachent pas les problèmes de corruption. Je suis satisfait du travail qu'ils ont fait et je dois profiter de cette opportunité pour les remercier pour ce travail dans lequel ils se sont investis pendant un an.
Un travail technique a été fait autour de tous les grands enjeux de la justice, de tous les grandes problématiques : justice et institutions, justice et société, justice et environnement économique, justice et justiciables.