Rien ne laissait présager un revirement si soudain. Seuls les avocats de l'ancien directeur du Fonds monétaire international s'étaient jusqu'alors risqués à s'attaquer à la personnalité de cette femme, protégée du regard des médias dès l'éclatement de l'affaire le 14 mai. Famille, amis, voisins dans le Bronx et employeurs jusqu'à la direction du Sofitel de Manhattan qui parlait d'une «employée modèle» tous louaient au contraire le sérieux de cette discrète Guinéenne de 32 ans, seulement préoccupée par l'éducation de sa fille. «Elle a grandi dans le respect de l'autorité»
L'exceptionnelle enquête menée par le New York Times sur le passé de l'accusatrice, menée au début du mois de juin jusque dans son village natal en Guinée, n'avait pas davantage permis d'ébrécher le portrait de Nafissatou Diallo. «Enfant, elle était timide et a grandi dans le respect de l'autorité», rapportait le journal. «C'est une fille du village. Tout ce qu'elle a appris, c'était le Coran», racontait son grand-frère.
Le New York Times avait pourtant décelé quelques zones d'ombres. Les journalistes reconnaissaient manquer d'information sur l'entrée de la jeune femme aux États-Unis en 2002, alors qu'elle était âgée de 23 ans. Mais pas de quoi doute de l'ensemble son témoignage «très fiable», selon les enquêteurs. «Lorsqu'elle a commencé à travailler comme femme de ménage au Sofitel, en 2008, elle disposait de papiers», rétorquaient d'ailleurs ses avocats.
C'est pourtant sur ce point que les premiers soupçons des enquêteurs se sont portés. Les procureurs ont d'abord acquis la conviction que la femme de chambre leur avait menti sur les conditions de sa demande d'asile aux États-Unis. Elle a affirmé avoir été violée dans son pays natal et avoir subi des mutilations génitales, en Guinée. Une affirmation qu'elle a répétée au cours de l'enquête, avant de se rétracter.
Soupçons de blanchiment d'argent
Une surprenante conversation a contribué à noircir ce tableau. Vingt-quatre heures après l'agression présumée, Nafissatou Diallo aurait évoqué au téléphone l'intérêt qu'elle pourrait tirer de ses accusations contre l'ancien patron du FMI, selon le New York Times. Son interlocuteur était un détenu, arrêté pour possession d'environ 180 kg de marijuana. Avec d'autres, il lui aurait versé quelque 100.000 dollars sur son compte en deux ans. Ces virements auraient été émis depuis l'Arizona, la Georgie, New York et la Pennsylvanie
Confrontée à cet enregistrement, la jeune femme a dit ne rien savoir des dépôts bancaires, sinon qu'ils étaient effectués par un homme qu'elle présente comme son fiancé, et par des amis de celui-ci, rapporte encore le New York Times. Alors que les enquêteurs ont établi qu'elle payait chaque mois plusieurs centaines de dollars de factures de téléphone auprès de cinq compagnies différentes, elle leur aussi a assuré ne disposer que d'un seul téléphone.
«Les procureurs ne croient plus grand-chose»
Au rythme de ces découvertes, les procureurs ont radicalement changé d'avis sur les témoignages de Nafissatou Diallo, un temps incontestables. «[Ils] ne croient pas grand-chose de ce que l'accusatrice leur a dit à propos des faits ni à propos d'elle-même», explique le New York Times. Même si l'affaire est «sur le point de s'effondrer», les analyses d'ADN ont toutefois démontré qu'il y avait bien eu relation sexuelle avec l'ex-directeur général du FMI, rappelle avec prudence le quotidien.
Les avocats de la jeune femme restent donc accrochés à ce scénario. «Rien ne change sur le fait très important que Dominique Strauss-Kahn a violemment agressé sexuellement la victime», a réagi vendredi Kenneth Thompson. L'avocat, connu pour obtenir des millions de dollars de dédommagement à ses clients, reste le principal avocat de la jeune femme. Son célèbre confrère Norman Siegel, engagé dans la lutte contre les discriminations, s'est lui retiré du dossier, sans explication.
Les avocats de Dominique Strauss-Kahn, comme ils l'ont déjà fait savoir, pourront toujours opposer qu'il s'agissait d'une relation sexuelle consentie, en s'appuyant sur les mensonges révélés par les enquêteurs. «Lorsque les preuves seront produites, il apparaîtra clairement qu'il n'y a pas eu de contrainte», assurait Benjamin Brafman à l'issue de l'audience judiciaire au cours de laquelle Strauss-Kahn a plaidé non coupable, le 6 juin.