Francis Dupuis-Déri (1999)
professeur, Département de science politique, UQÀM.
“L’esprit antidémocratique
des fondateurs de la « démocratie » moderne”
Un article publié dans la revue AGONE,
no 22, septembre 1999, pp. 95-114.
Table des matières
Résumé
Introduction
Une socialisation élitiste
Utilisation politique du mythe de la «souveraineté»
Discours antidémocratique & peur des pauvres
Justifications philosophiques
Langage: l’antidémocratisme dissimulé
L’« agoraphobie » comme concept politique
Résumé
Se réclamant de la « démocratie » – sans toutefois donner plus de pouvoir au démos –, les représentants de nos systèmes politiques n’ont pas seulement piégé le peuple qu’ils prétendaient servir, c’est la langue elle-même qu’ils ont trahie : comment désormais mettre à jour l’anti-démocratisme des discours, des pratiques, des systèmes et des hommes politiques rangés sous l’étiquette de « démocrates » ? Le glissement de sens qu’a connu le mot « démocratie » constitue sans doute le principal coup de maître de la propagande politique moderne.
Introduction
L’esprit antidémocratique des fondateurs de la « démocratie » moderne. On peut presque dire que la théorisation politique a été inventée pour montrer que la démocratie, le gouvernement des hommes par eux-mêmes, vire nécessairement en règne de la populace… S’il existe quelque chose telle que la tradition occidentale de la pensée politique, elle débute avec ce biais profondément antidémocratique.
J. S. MC CELLAND
AUJOURD’HUI, presque tous les acteurs et les penseurs politiques se réclament de la démocratie. Or, les fondateurs de nos démocraties représentatives étaient ouvertement antidémocrates, utilisant le mot « démocratie » pour désigner et dénigrer leurs adversaires trop radicaux. Ce paradoxe – des antidémocrates qui fondent les soi-disant « démocraties » modernes – apparaît très clairement lorsqu’on se plonge dans la lecture des discours, des pamphlets, des articles de journaux, des lettres personnelles ou des poèmes de l’époque révolutionnaire, tant américaine que française. En fait, la force quasi incantatoire que possède le mot « démocratie » aujourd’hui nous fait oublier que, pendant plus de deux mille ans, le terme « démocratie » eut un sens très négatif pour pratiquement tous les penseurs politiques, et qu’aucun acteur politique ne s’en est fait le champion.
Depuis Athènes, on entendait par « démocratie » le gouvernement direct d’un peuple assemblé à l’agora pour proposer des lois, en débattre et les voter. Bien sûr, la démocratie athénienne n’était pas parfaite, les femmes, les esclaves et les métèques en étant exclus. Mais ce problème d’exclusion – qui mérite d’être pensé – n’eut que peu de résonance pendant deux mille ans, puisque les régimes monarchiques, impériaux ou soi-disant « démocratiques » pratiquaient presque toujours eux-mêmes l’esclavagisme et l’exclusion des femmes de la sphère publique. La définition de la démocratie s’intéressait donc peu à ces problèmes, qui n’en étaient pas aux yeux des penseurs et des acteurs politiques. Ils se concentraient plutôt sur la forme du gouvernement direct de la démocratie, considérée comme incompatible avec toute espèce de représentation. Cette définition descriptive se doublait d’un sens normatif péjoratif : la démocratie était un régime faible car le peuple est facilement manipulable par des démagogues et se laisse aisément entraîné par ses passions. Pire encore, ce peuple foncièrement irrationnel est incapable de discerner le « bien commun » – expression qui fait l’impasse sur les conflits inhérents à la vie en commun – et risque d’imposer des politiques égalitaires puisqu’à l’agora les pauvres seront toujours plus nombreux que les riches. Bref, la démocratie tendrait inéluctablement vers une de ses deux formes pathologiques : la tyrannie de la majorité ou le chaos. Les pères fondateurs des premières « démocraties » modernes partageaient cette vision de la démocratie.
Nous nous trouvons donc devant une situation des plus paradoxales : nos régimes « démocratiques » ont été fondés par des individus profondément et ouvertement antidémocrates. Cet antidémocratisme, que nous nous proposons ici d’explorer, est un des éléments fondamentaux de nos systèmes représentatifs contemporains. Lors de sa formation, notre régime représentatif n’est pas connu sous le nom de « démocratie » mais plutôt sous celui de « république », deux termes qui ne sont pas synonymes, loin s’en faut. Pourtant, un changement d’étiquette survient, tant aux États-Unis qu’en France, vers la fin de la première moitié du XIXe siècle [1]. Dès lors, des régimes ouvertement antidémocratiques adoptèrent, pour des raisons que l’on appellerait aujourd’hui de marketing politique, l’appellation de « démocratie ». Comme l’antidémocratisme inhérent à notre régime représentatif, cet antidémocratisme des pères fondateurs nous semble s’expliquer sur les plans à la fois sociologique, politique et économique, philosophique et linguistique.
UNE SOCIALISATION ÉLITISTE
Avant d’être instrumental, l’antidémocratisme des patriotes est sans doute sincère. Il est le résultat d’une socialisation profondément élitiste, influencée en grande partie par l’éducation classique que reçoivent les leaders patriotes des deux côtés de l’Atlantique [2]. Au collège, ils apprennent le latin et le grec et ils lisent, étudient et traduisent les principaux textes des auteurs classiques. Ces auteurs et leurs idées se retrouvent de plus cités et discutés par les grands penseurs politiques du XVIIe et du XVIIIe siècles tels James Harrington, John Locke et Montesquieu, qui vont également influencer les patriotes. Aristote et Cicéron sont sans nul doute les deux penseurs politiques de l’ère classique qui exercent la plus grande emprise sur l’esprit patriotique. Or ces deux penseurs prônent un régime mixte où les trois ordres – le monarque, les aristocrates et le peuple (ou demos) – se neutraliseraient au sein d’institutions telles que le sénat, la chambre basse, etc. Pareille constitution est dite « républicaine » et, plutôt que de favoriser les intérêts d’un seul ordre au détriment des autres, elle prétend tendre vers le bien commun. C’est d’ailleurs l’étendard républicain que vont brandir les patriotes. Quant à la démocratie, Aristote comme Cicéron s’en méfient, méfiance qu’ils ont transmise aux jeunes patriotes déjà bien disposés à croire que les gens du petit peuple sont dépourvus de discernement politique.
Outre cette méfiance à l’égard d’un régime politique démocratique, les membres de l’élite patriotique sont socialisés à se considérer comme supérieurs. Ils répètent ce qu’ils ont appris : de chaque société émergerait une sorte d’« aristocratie naturelle », à distinguer de l’aristocratie héréditaire illégitime quand la première est celle du mérite et de la vertu. L’« aristocratie naturelle », on la retrouve chez Thomas Jefferson : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement ». Robespierre parle quant à lui d’une « aristocratie représentative », faisant sans doute référence à Jean- Jacques Rousseau, pour qui, des trois sortes d’aristocratie – naturelle, élective, héréditaire – « la deuxième est le meilleur : c’est l’aristocratie proprement dite [3] ». Selon les membres même de cette aristocratie naturelle, eux seuls détiendraient les compétences pour identifier, défendre et promouvoir le bien commun, alors que les gens du [petit] peuple ne sont motivés que par leur intérêt personnel et immédiat. Cet élitisme des patriotes s’exprime d’ailleurs sans gène dans les discours, pamphlets et lettres personnelles : le peuple est synonyme de « foule », de « populace », de « mob », de « crowd », de « vermine »… bref, d’attributs qui dénotent autant leur antidémocratisme qu’un véritable dédain des gens du peuple.
UTILISATION POLITIQUE DU MYTHE
DE LA « SOUVERAINETÉ »
D’un point de vue politique, les patriotes vont bien sûr s’efforcer de discréditer la légitimité du pouvoir du roi ou de l’aristocratie. Mais ils vont aussi insister sur l’incapacité politique du peuple à se gouverner lui-même. Méprisant les gens du peuple, il est bien normal que les leaders du mouvement patriote ne rêvent pas d’instaurer une démocratie directe. Mais s’ils refusent que l’agora soit le siège du pouvoir, c’est aussi, et surtout, qu’ils veulent le pouvoir pour eux-mêmes.
Il est en effet primordial de garder à l’esprit qu’un peu partout en Occident, au moment des « révolutions » mais depuis le Moyen-Âge, siègent des assemblées de représentants aux pouvoirs plus ou moins étendus [4] : dès les XIIe et XIIIe siècles dans la péninsule ibérique (les Cortes), dans le Saint Empire romain germanique (la Diète) ; tandis qu’en France les premiers États généraux furent convoqués en 1302 [5]. Si ces institutions représentatives devinrent des lieux où les monarques, l’aristocratie, le clergé et la bourgeoisie pouvaient négocier, en aucune manière elles se voulaient l’expression d’un esprit démocratique. Jean-Jacques Rousseau dira de l’idée de représentation qu’« elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée [6] ». Idée reprise par l’historien américain Samuel Williams en 1794 : « La représentation […] a été graduellement introduite en Europe par les monarques ; non pas avec l’intention de favoriser les droits des peuples, mais comme le meilleur moyen de lever de l’argent [7] » – pour financer leurs aventures guerrières.
Dans l’Amérique coloniale britannique, les assemblées exercent un très grand pouvoir et nombreux sont les leaders de la guerre d’Indépendance qui siégeaient déjà dans les assemblées coloniales [8]. En France, ce sont les représentants du Tiers États siégeant aux États généraux et bientôt à l’Assemblée nationale qui seront les leaders des mouvements révolutionnaires – ceux-ci ne sont donc pas des exclus qui du passé cherchent à faire table rase. Participant déjà aux institutions politiques, les révolutions vont leur permettre d’augmenter le pouvoir politique de l’institution où ils siègent et par conséquent leur propre pouvoir politique – puis de s’assurer une très avantageuse carrière.
Il n’est donc pas question pour ces représentants de fonder une démocratie – régime qui ne se conçoit encore à l’époque que sous sa forme directe. Le discours des patriotes, s’il condamne bien évidemment l’Ancien régime, dénigre également la démocratie. L’idée qu’ils fondaient des « démocraties » n’a jamais traversé leur esprit, n’utilisant le mot qu’en de très rares exceptions. En fait, l’étiquette de « démocrate » n’est accolée qu’aux plus radicaux pour les discréditer, tandis qu’on insiste sur l’incapacité du peuple à se gouverner lui-même sans l’intermédiaire de représentants. Ne prenons que deux exemples parmi tant d’autres : le girondin Brissot, ouvertement antidémocrate, déclare ainsi que « la plupart des désordres » qu’ont connus les cités démocratiques antiques « peuvent être attribués à leur manière de délibérer. Le peuple délibérait sur la place [9] » ; James Madison, un des pères de la Constitution américaine, exprime lui aussi très clairement cette peur du peuple délibérant : « Si chaque citoyen d’Athènes avait été un Socrate, chaque assemblée athénienne aurait été malgré tout une cohue [10] ».
En Amérique, le débat constitutionnel de 1787, qui aboutira à la création de l’union, offrit une bonne occasion aux fédéralistes d’utiliser le mot « démocratie » comme repoussoir. On parle ainsi des « excès de la démocratie », celle-ci étant présentée comme « le pire de tous les maux politiques », qui conduit à « l’oppression et à l’injustice » [11]. Ainsi, selon John Adams, un patriote de la première heure qui sera vice-président de George Washington puis président des États-Unis : « L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable, il n’est pas un gardien du tout. Il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir [12] ». On peut difficilement imaginer un antidémocratisme et un mépris du peuple plus clairement exprimés et assumés.
Les représentants ne veulent-ils donc changer le monde qu’afin d’obtenir pour eux-mêmes plus de pouvoir au sein des institutions représentatives où ils siègent déjà ? Certains révolutionnaires vont ainsi jusqu’à admettre que leur « révolution » n’a de révolutionnaire que le nom. Selon Alexander Hamilton, un des patriotes américain les plus influents : « Il n’y a pas eu de changements dans les lois, il n’y a pas eu d’interférence avec les intérêts de quiconque, tout le monde est resté à sa place et, la seule altération, c’est que le siège du gouvernement a changé ». Il conclut qu’en fait, aux États-Unis, il n’y a pas eu de révolution [13].
Les patriotes avaient bien sûr besoin d’un discours légitimant la position qu’ils entendaient occuper au sommet du nouveau système. Ils devaient justifier leur autorité aux yeux de leurs adversaires comme à ceux de leurs partisans. Comme ils devaient le faire à leurs propres yeux, car se voulant, justes et grands, à l’image de leurs modèles historiques, les législateurs du monde antique. Ne pouvant que difficilement se référer à Dieu ou au sang, leur légitimation sera le peuple. Mais un peuple étrangement désincarné. Car, on l’a vu, le peuple est déclaré politiquement taré, fruit d’un mépris politique, économique, culturel et psychologique. Politiquement taré, le peuple a donc besoin de représentants, comme le lui expliquent d’ailleurs ses représentants…
C’est ainsi que les patriotes s’approprièrent le discours de la « souveraineté populaire », une fiction, un mythe alors très installé, qui servit beaucoup à leur stratégie discursive de légitimation [14]. Selon les auteurs, cette fiction pouvait légitimer toutes sortes de régimes : de la monarchie absolue avec Thomas Hobbes (Léviathan) * à la démocratie (directe) avec Jean-Jacques Rousseau. Évoquée dans l’abstrait, la souveraineté est de fait niée par les représentants lorsqu’ils réaménagent le système politique et ses institutions. Déjà Montesquieu prétendait que « le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter des affaires. Le peuple n’y est point du tout propre : ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie [15] ». Ainsi Brissot, suivant cette idée très partagée, déclara que le « peuple seul a le droit de se constituer, mais il n’en a pas le talent ; il doit donc confier une partie de son droit à ceux qui en ont le talent » [16] – un talent dont Brissot, bien sûr, se croit doté. De l’autre côté de l’Atlantique, le pasteur de Nouvelle Angleterre James Belknap dira pour sa part [17] : « Tenons comme principe que le gouvernement tire son origine du peuple, mais qu’on enseigne au peuple qu’il n’est pas apte à se gouverner lui-même ». (Là encore, les exemples abondent qui reflètent un état d’esprit généralisé, la même idée se retrouvant sur les lèvres ou sous la plume de presque tous les chefs révolutionnaires, qui tentaient tout autant de convaincre le peuple qu’eux-mêmes…)
À l’incapacité du peuple à se gouverner seul, plusieurs ajoutèrent qu’une démocratie n’était possible qu’à l’échelle d’une cité antique – argument employé notamment par Montesquieu. Les États-Unis d’Amérique et la France seraient trop vastes et trop peuplés pour permettre l’instauration d’une démocratie directe. Si Rousseau contesta déjà cet argument démographique et géographique [18], les exemples ont suivi qui en montrent le peu de fondement : une réforme d’un système politique n’a pas besoin de respecter l’étendue géographique initiale, elle n’est question que de volonté [19].
Malgré toutes ces limitations, certains auteurs et acteurs politiques, dénonçant son caractère par trop abstrait, ont refusé de se laisser berner par le mythe de la « souveraineté populaire » et son corollaire, la délégation du pouvoir souverain par le peuple à ses représentants. On connaît bien la citation de Rousseau au sujet des électeurs Anglais, esclaves sauf le jour des élections : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée… Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde [20] ». En Amérique également, on trouve, en 1636, un John Cotton déclarant que « le gouvernement n’est pas une démocratie s’il est administré non par le peuple mais par des gouverneurs » – même si le peuple choisit ses propres gouvernants. Toujours en Amérique, John Winthrop affirmait en 1639 : « Quand le peuple a choisi des hommes pour être ses gouvernants […] le peuple, en ayant député certains, n’a pas le pouvoir de faire ou de modifier les lois, mais n’a que le pouvoir d’être sujet. » Selon John Davenport, un autre Américain, en choisissant des représentants, le peuple n’« abandonne pas tant ses droits et sa liberté à ses gouvernants, mais son pouvoir » (1699) [21]. Enfin, plus lucide ou, à tout le moins, plus honnête, le représentant Lambert rappelle au Comité de salut public que le « peuple [qui est souverain…] n’est qu’un être purement métaphysique ». Quelle belle expression pour dire ce que personne n’entend voir : que le discours autour de la souveraineté populaire est un leurre ; que, pour n’être plus ni esclave ni sujet, le peuple reste aliéné car dépossédé du véritable pouvoir. Le peuple n’est souverain que sur le plan métaphysique. Sur le plan politique, il n’est rien.
Les débats étaient virulents, se transformant parfois en véritables coups de force – comme la rébellion de Shays en Amérique ou celle des sans-culottes en France. Toutefois, aux États-Unis, les tensions entre partisans de la représentation et démocrates sont presque inexistantes [22], l’utilisation péjorative du mot « democracy » servait à miner la crédibilité de constitutions plus radicales, comme l’unicaméraliste de Pensylvannie [23]. En France, certains révolutionnaires radicaux comme les sans-culottes, s’inspirant notamment de Rousseau, voulaient contrer le régime représentatif, lui préférant le pouvoir direct des sections, préférant les mandataires aux représentants. (Contrairement au représentant, le mandataire ne fait qu’exprimer la volonté de ses commettants, il doit taire sa propre volonté [24].)
Ce fut finalement le discours de la souveraineté populaire représentée qui l’emporta sur celui de la souveraineté populaire exercée. John Adams et James Madison en Amérique, Sieyès, Brissot et Robespierre en France seront parmi les plus importants propagandistes du système représentatif, qu’ils entendent légitimer, mais aussi contrôler. Voilà une belle brochette de représentants du peuple dont les efforts sont surtout consacrés à justifier leur propre fonction. Faite de membres autoproclamés de l’« aristocratie naturelle », cette élite serait nécessaire, estime Sieyès faisant écho à Brissot, car les représentants sont « bien plus capables [que le peuple] de connaître l’intérêt général » ; et de conclure que « la France n’est point, ne peut pas être une démocratie » car le « peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. [25] » Doit-on s’étonner que Sieyès soit lui-même un représentant et que ces déclarations soient faites à l’Assemblée nationale ?
Pourquoi cette négation de la compétence du peuple ? Les patriotes savaient pourtant que, dans une démocratie directe comme Athènes, les citoyens appelés à combler des postes officiels ne détenaient presque aucun pouvoir décisionnel et, surtout, qu’ils étaient le plus souvent désignés par tirage au sort. On tirait au sort précisément parce qu’on accordait à chaque citoyen un jugement politique et la capacité d’exprimer sa volonté politique. L’élection était au contraire considérée comme aristocratique car supposant des citoyens plus à même que d’autres de prendre des décisions politiques [26]. Mais les patriotes ne retiendront pas le tirage au sort – qui rendrait inutile leur rôle de représentants –, l’idée d’aristocratie naturelle venant parfaire le principe de représentation, qui, selon Thomas Jefferson, « a rendu inutile presque tout ce qui a déjà été écrit au sujet de la structure du gouvernement [27] ».
DISCOURS ANTIDÉMOCRATIQUE
& PEUR DES PAUVRES
À cet antidémocratisme s’ajoutait une peur du pauvre et de l&r