- D’une part, il ne faut pas occulter le fait qu’au Niger, les marchés publics constituent un instrument extraordinaire de financement des campagnes électorales et un moyen de récompenser certains alliés et inconditionnels du parti, qui ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, accéder à certaines stations de responsabilité. Sous ce rapport, les marchés publics, sont devenus un objet de convoitise de la part des responsables politiques et administratifs à tous les niveaux pour retourner l’ascenseur à leurs applaudisseurs moins instruits et plus portés vers les affaires.
- D’autre part, il faut malheureusement admettre que les marchés publics s’analysent au regard des faits, comme un instrument de nature à accélérer les processus de transhumance politique. Il suffit alors de brandir l’arme de l’attribution des marchés ou celles de la mise en œuvre des sanctions en cas des manquements liés à l’exécution d’un marché précédent pour obtenir le ralliement ou la défection voir le silence d’un « poids lourd ». Mieux, les autorités politiques en quête de légitimité évanescente ou de majorité ad’hoc ne lésinent pas sur les moyens. Et il se trouve que le mode opératoire le plus sollicité est la corruption à travers les marchés publics.
Mais au delà de ces évidences difficiles à combattre, la tournure que prend la question inquiète à plus d’un titre. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le site du conseil constitutionnel de transition pour examiner les avis, les décisions rendues dans ce sens, la trame des personnalités impliquées et l’objet de saisine. Cette consultation doit être complétée par la lecture des journaux de la place à travers les articles et commentaires qui y sont consacrés. La question passionne et est plus que d’actualité.
Ainsi, l’hyperactivité du conseil constitutionnel est un motif de satisfaction. Cela prouve si besoin est, la confiance et l’espérance investie en lui et doit par voie de conséquence continuer à jouer un rôle pédagogique à travers des décisions suffisamment motivées. Ce rôle est important dans la mesure où, la lecture de certains avis et décisions comme c’est le cas de l’interprétation de l’article 52 de la constitution, montrent que certains hommes politiques manquent cruellement des conseillers juridiques ou ne les écoutent pas. En droit, il est dit que, ce qui est clair, d’une clarté cristalline n’a pas besoin d’être interprété.
Et c’est justement ce qui frappe au Niger et qui suscite toutes ces controverses : cette volonté avouée de ne pas respecter les dispositions juridiques on ne peut plus claires et essayer d’en faire une exploitation politique malsaine.
Or, comme l’a souligné le Professeur Alioune Sall, les périodes d’effervescence sont souvent des moments de confusion, dans lesquels les impulsions passionnelles et les inclinaisons partisanes prennent volontiers le pas sur un minimum de sérénité sans lequel le débat public n’est ni sain ni fécond. Que le raidissement du débat public soit le fait d’acteurs politiques n’est que normal, c’est même, ajouteront d’autres, le sel de la démocratie. Mais il est tout aussi légitime de chercher, au milieu de cette houle, à rappeler un certain de choses qui ont pu, il faut bien le dire, être oubliées ou occultées –on n’ose dire volontairement – dans cette controverse.
De quoi s’agit-il ?
A l’instar de tous les Etats, le droit des marchés publics nigérien est traversé par un certain nombre des principes fondamentaux dont celui d’égalité devant la commande publique. Ce principe est élevé à la dignité des principes à valeur constitutionnelle. Par conséquent une lecture superficielle pourrait permettre de déduire que tout citoyen peut participer à la compétition débouchant sur l’attribution d’un marché, étant entendu que les citoyens sont égaux. Mais les choses ne sont pas aussi simples et le Doyen Alkache Alhada a posé la problématique dans leurs ouvrages collectifs consacrés aux droits de l’Homme au Niger. S’agit – il d’assurer l’égalité de droit c'est-à-dire de traiter également les individus sans tenir compte de leur particularité ou bien le respect de l’égalité doit-il conduire à la recherche de l’égalité de fait qui prend en compte la situation concrète des individus ? Les solutions variant d’un système à un autre, d’un domaine à un autre, il a été décidé de faire prévaloir la deuxième thèse en ce qui concerne les marchés publics au Niger. Le conseil constitutionnel français a précisé dans ce sens que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes ».
C’est au regard de ces considérations qu’un certain nombre de restrictions ont été apporté à l’accès à la commande afin de prendre en compte la situation concrète des citoyens. L’idée de fond est de garantir une saine concurrence c'est-à-dire entre les vrais égaux. Certaines restrictions jugées classiques sont contenues dans le code des marchés publics et d’autres qui ont été rendues nécessaires par le contexte sont contenues dans la constitution elle-même. En tous les cas, ces restrictions ne posent aucun problème au regard du droit car l’égalité ne s’applique qu’a ceux qui sont dans une situation identique et comparable.
- Au chapitre des restrictions classiques, il est interdit aux personnes physiques ou morales suivantes de solliciter et d’obtenir un marché public ou une sous traitance :
- celles qui sont en état de faillite personnelle, de cessation d’activités, de liquidation, de redressement judiciaire, ou dans toute situation analogue de même nature existant dans les législations et réglementations nationales ; cette disposition ne s’applique pas aux personnes morales en état de redressement judiciaire autorisées à poursuivre leurs activités par une décision de justice ;
- celles qui font l’objet d’une procédure de déclaration de faillite personnelle, de redressement judiciaire, de liquidation ou de toute autre procédure de même nature existant dans les législations et réglementations nationales.
- Toute personne physique ou morale condamnée pour infraction à une disposition du code pénal ou de la législation fiscale prévoyant l’interdiction d'obtenir de telles commandes ;
- Toute entreprise ou groupement d'entreprises qui, à la suite d'une tentative d'entente avec d'autres candidats, de soumission d'informations inexactes ou d'un manquement grave à ses obligations contractuelles, et après avoir été invitée au préalable à présenter ses observations par écrit, est temporairement exclue de la passation des marchés par décision motivée de l'Agence de Régulation des Marchés Publics;
- Les entreprises dans lesquelles les membres de l’autorité contractante, les membres de l’organe chargé du contrôle a priori des marchés publics, la personne responsable du marché ou les membres des commissions d’ouverture des plis et d'évaluation des offres possèdent des intérêts financiers ou personnels de nature à compromettre la transparence des procédures de passation des marchés publics ;
- Les entreprises affiliées aux consultants ayant contribué à préparer tout ou partie des dossiers d'appel d'offres ou de consultation ;
- Les associations et organisations non gouvernementales ;
- Les entreprises temporairement exclues de la commande publique à la suite de pratiques anticoncurrentielles telles que la corruption, les manœuvres frauduleuses, collusoires, coercitives ou obstructives.
A travers ces dispositions, il apparait clairement la volonté de bloquer certaines personnes ou entreprises qui ont des difficultés financières pour exécuter le marché en question, d’écarter celles dont le comportement a été jugé frauduleux ou dont leur participation est de nature à compromettre la transparence et une saine concurrence. Cette disposition ne semble posé des difficultés particulières car les citoyens concernées par celle-ci se conforme et semble pas développer des stratégies de contournement de la norme.
Au chapitre des restrictions spécifiques, il importe de convoquer l’article 52 de la constitution qui indique très clairement que durant son mandat, le Président de la République ne peut, ni par lui-même, ni par autrui, rien acheter ou prendre en bail qui appartienne au domaine de l'Etat ou de ses démembrements. Il ne peut prendre part, ni par lui-même, ni par autrui, aux marchés publics et privés de l'Etat et de ses démembrements. Les dispositions du présent article s'étendent aux présidents des institutions de la République, au Premier ministre, aux membres du Gouvernement et aux députés.
Il est clairement dit et confirmé par le conseil constitutionnel que les autorités sus visées sont formellement exclues de toute procédure de passation des marchés publics. De ce fait aucun ministre, aucun député ne peut répondre à un avis d’appel à candidature dans le cadre d’un marché public. Aucun ministre ne peut valider un processus de passation de marché public ayant conduit à la désignation d’un député en fonction comme attributaire provisoire. La méconnaissance de cette exclusion est de nature à exposer son auteur aux sanctions prévues par les lois et règlements en vigueur. La direction générale de contrôle des marchés publics (DGCMP) chargée du contrôle à priori est également mise à contribution pour veiller au respect de toutes ces restrictions. Ainsi, si tout se passe bien, point n’est besoin de s’adresser au conseil constitutionnel pour statuer sur “ la constitutionnalité d’un marché public“. Le conseil méritant un adversaire d’une autre dimension. La règle de droit étant la traduction juridique d’un choix politique, il a été décidé d’exclure ces autorités de la passation des marchés publics et il faut en prendre acte et s’y conformer. Mais force est de constater l’obstination de certains députés et ministres à croire qu’il est toujours de contourner la règle de droit et continuer à exercer leur influence pour obtenir des marchés. Le drame est que la volonté de violer la règle émane des autorités censées la préserver.