«LA DIPLOMATIE DES MISSILES» ET LE «MARCHE LIBRE»
La guerre et la mondialisation sont intrinsèquement liées. Le FMI et l’OTAN travaillent en tandem, en lien avec les cercles de réflexion de Washington. Les pays peu disposés à accepter les remèdes enrobés de sucre de la «médecine économique» du FMI feront tôt ou tard l’objet d’une opération humanitaire de l’OTAN en vertu de sa responsabilité de protéger. Déjà vu? Sous le règne de l’Empire britannique, «la diplomatie canonnière» était une façon d’imposer le «libre-échange». Le 5 octobre 1850, l’envoyé britannique au Siam, Sir James Brooke, avait recommandé au gouvernement de Sa Majesté que:
« Si ces exigences équitables [d’imposer le libre-échange] étaient refusées, la présence d’une force serait immédiatement requise pour les faire respecter par la destruction rapide des défenses du fleuve [Chao Praya] [...] Le Siam devrait avoir la leçon qu’il mérite depuis longtemps: son gouvernement devrait être remodelé, un roi plus favorable mis sur le trône et une influence devrait être acquise dans le pays, le rendant ainsi important pour l’Angleterre sur le plan commercial » (cf. The Mission of Sir James Brooke, cité dans M.L. Manich Jumsai, King Mongkut et Sir John Bowring, Chalermit, Bangkok, 1970, p. 23).
Aujourd’hui nous appelons cette tactique «changement de régime» et «diplomatie de missile», laquelle prend invariablement la forme d’une «zone d’exclusion aérienne» sous l’égide de l’ONU. Son but est d’imposer la «médecine économique» fatale du FMI, faite de mesures d’austérité et de privatisation. Les programmes de «reconstruction» des pays déchirés par la guerre et financés par la Banque Mondiale sont en coordination avec la planification militaire des États-Unis et de l’OTAN. Ils sont toujours formulés avant l’offensive militaire.
LA CONFISCATION DES AVOIRS FINANCIERS LIBYENS.
Les avoirs financiers étrangers bloqués de la Libye sont estimés à 150 milliards de dollars, les pays de l’OTAN en détenant plus 100 milliards. Avant la guerre, la Libye n’avait pas de dettes. Au contraire. C’était un pays créancier investissant dans les pays africains voisins. L’intervention militaire en vertu de la « responsabilité de protéger » vise à pousser la Jamahiriya arabe libyenne dans le carcan d’un pays en développement endetté, sous la supervision des institutions de Bretton Woods établies à Washington. Ironie amère du sort, après avoir volé la richesse pétrolière libyenne et confisqué ses avoirs financiers à l’étranger, la « communauté de donateurs » s’est engagée à prêter cet argent (volé) pour financer la « reconstruction » d’après-guerre en Libye.
La Libye doit joindre les rangs des pays africains endettés que le FMI et la Banque Mondiale ont menés à la pauvreté depuis l’offensive de la crise de la dette au début des années 1980. Le FMI a promis 35 milliards de dollars de financement [prêts] supplémentaire aux pays affectés par les soulèvements du printemps arabe et a reconnu formellement le conseil intérimaire libyen comme autorité légitime, ouvrant ainsi l’accès à une myriade de prêteurs internationaux alors que le pays envisage de se reconstruire après une guerre de six mois. [...] La reconnaissance du FMI est significative pour les dirigeants intérimaires de la Libye puisque cela signifie que les banques internationales de développement et les donateurs tels que la Banque mondiale peuvent maintenant offrir du financement.
Les pourparlers de Marseille ont eu lieu quelques jours après que les dirigeants mondiaux se furent entendus pour dégeler des milliards de dollars d’avoirs [d’argent volé] pour aider [par des prêts] les dirigeants intérimaires libyens à restaurer des services fondamentaux et à reconstruire après un conflit ayant mis fin à 42 ans de dictature. L’accord de financement par les grandes puissances économiques du Groupe des 7 et de la Russie vise à appuyer les efforts de réforme [ajustement structurel sous l’égide du FMI] dans la foulée des révoltes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le financement vient principalement sous forme de prêts plutôt que de subventions. La moitié provient du G8 et des pays arabes, et le reste de divers prêteurs ainsi que de banques de développement (cf. Financial Post, 10 septembre 2011). Estimation des fonds libyens investis à l’étranger par l’Autorité Libyenne d’Investissements; 150 milliards répartis comme suit:
* États-Unis: 34 milliards
* Grande-Bretagne: 19,2 milliards
* France: 10,56 milliards
* Belgique: 19 milliards
* Italie: 9,73 milliards
* Pays-Bas: 4,17 milliards
* Canada: 2,4 milliards
La totalité des fonds détenus par l’alliance envahisseuse de l’OTAN est de 99,9 milliards de dollars. Il se trouve que près des 2/3 des investissements libyens à l’étranger sont détenus dans des pays constituant les forces envahisseuses de l’OTAN. L’Allemagne possède 9,73 milliards de plus ! Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur émérite de sciences économiques à l’Université d’Ottawa.
Il est l’auteur de «Guerre et mondialisation, la vérité derrière le 11 septembre» et de la «Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial» (best-seller international publié en plus de 20 langues). Traduction pour Mondialisation.ca par Julie Lévesque. Source des chiffres, sauf où indiquer: UNESCO, Profil de la Libye et OMS.
Paul N’guessan