Au Sahel, les missions opérationnelles des Reaper débuteront d’ici une quinzaine de jours, précise-t-on au ministère de la Défense. Les avions seront pilotés depuis des préfabriqués implantés sur l’aéroport de Niamey. Leurs images seront exploitées sur place, ou même envoyées au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) à Paris, via liaison par satellite.
Ces avions pilotés à distance seront capables de voler durant 24 heures d’affilée, et viendront compléter la panoplie des moyens de reconnaissance et d’écoute (ISR) français déjà déployés dans la région (drones Harfang, avions Atlantique 2, avions-espions de la DGSE).
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Côté américain, il n’est pas rare de croiser des avions d’écoute Pilatus U-28 à Niamey. « Parfois, nous avons les moyens techniques, mais nous n’avons pas les compétences », confie un officier américain en poste en Afrique. Il se souvient que par le passé, au Mali, « l’US Air Force a dû faire appel à l’armée française pour trouver un soldat capable d’écouter et de traduire des conversations que nous interceptions ! »
Au-delà de l’anecdote, le Pentagone a transporté une partie du matériel, a fourni à l’armée française, début 2013, des avions ravitailleurs et des avions d’écoute. Contribution sans laquelle l’opération Serval aurait été beaucoup plus difficile, de l’avis des experts.
Si l’on considère les implantations américaines en Afrique de l’Est, à Camp Lemonier, à Djibouti, dans l’océan Indien, aux Seychelles, sur la base de drones d’Arba Minch en Ethiopie ainsi qu’en Ouganda, Français et Américains seront, dans un avenir proche, amenés à couvrir une zone d’instabilité allant de la Guinée à la Somalie…
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Pour la France, l’enjeu est de « passer d’une posture héritée de la décolonisation, avec de grosses implantations et une empreinte au sol très visible, à la formation de plots orientés vers la lutte contre le terrorisme », indique une source proche du ministère de la Défense.
Depuis 2009, la France « défriche » ce concept dans la zone sahélo-saharienne en multipliant les implantations, parfois de manière temporaire. L’armée française s’est ainsi installée dans une dizaine de pays, de manière plus ou moins discrète (voir carte ci-dessous).
Les opérations Sabre et Serval ont permis d’aller « explorer » des lieux où la France n’avait plus mis les pieds depuis des décennies, de l’aérodrome de Tessalit, près de la frontière algérienne, jusqu’aux ruines du bagne de Taoudéni, dans l’extrême nord-ouest du pays sur la route de la Mauritanie. « Début février 2013 au Mali, nous sommes partis à la conquête de ces îles, dans un océan de sable », rappelle l’amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées.
La semaine dernière, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian s’est rendu, pour sa part, sur la base aérienne de Faya-Largeau, au Tchad. Une base presque oubliée, mais qui a vu le passage de deux Rafale de l’armée de l’air en octobre 2013 . Equipés de puissantes nacelles de reconnaissance, ils peuvent surveiller la frontière libyenne et ses « katibas » à 45 minutes de vol de là.
L’objectif pour l’armée française est désormais d’effectuer « un maillage » permettant d’agir avec une grande réactivité. « Nous devons faire remonter nos hommes vers le Nord, pour être au plus près de la menace », souligne-t-on dans l’entourage du ministre de la Défense. L’idée est de maintenir une présence permanente de 3 000 hommes capables de sauter d’un point d’appui à l’autre.
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Le processus de régionalisation n’en est encore qu’à la phase des consultations politiques. Ensuite, il reviendra à l’état-major de dire d’où viendront ces forces, et où il faudra les stationner. Des changements sont à attendre sur les emprises les plus anciennes, comme au Gabon ou à Djibouti.
Pour le moment, la France s’attache à passer des accords avec les pays de la zone sahélo-saharienne, afin de donner un cadre juridique à sa présence. Ces accords formalisent la présence de soldats français et de moyens militaires sur leur sol, et définissent de quelle manière l’armée française pourra agir dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Deux accords ont été signés discrètement en décembre entre la France et le Niger d’une part, et entre la France et le Tchad d’autre part. Le prochain le sera le 20 janvier prochain au Mali. « Ces accords nous permettent d’intervenir de manière autonome, tout en informant les autorités des pays concernés », indique une source au ministère de la Défense, sans donner plus de détails.
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Si Paris se réserve le droit d’intervenir seul sur certaines opérations, le ministère de la Défense pousse à une très forte coopération opérationnelle avec certaines forces de la région. Ce fut le cas au Mali, avec les forces tchadiennes. Ndjamena avait envoyé des unités d’élite (jusqu’à 2 400 hommes) afin de fournir le volume de force nécessaire aux opérations de ratissage dans l’Adrar de Ifoghas.
« Au Niger, si vraiment les choses tournent mal dans le nord du pays, nous serions en mesure de fournir un appui aérien aux forces nigériennes depuis notre base de Ndjamena », indique une source française en Afrique, préférant garder l’anonymat. D’ailleurs, l’aéroport de Niamey pourrait prochainement recevoir des avions de combat afin que l’armée de l’air française soit encore plus proche des zones sensibles du Nord-Niger. A savoir Arlit et ses mines d’uranium, mais surtout la passe de Salvador à la frontière entre le Niger, l’Algérie et la Libye.
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par Olivier Fourt, Véronique Barral ( RFI)