La veille de son départ, le général Salou Djibo reçoit à sa résidence le colonel Badié, N°2 de la junte, pour la passation des consignes. Les deux hommes sont rejoints un peu plus tard par le général Salou Souleymane, chef d’état-major des Forces armées nigériennes (FAN). Faut-il accueillir une force française permanente après l’enlèvement d’Arlit? Faut-il seulement autoriser l’armée française à se ravitailler en carburant à Niamey et à survoler l’espace aérien nigérien? Après échanges d’arguments et analyse de la situation, les deux plus hauts responsables de la transition conviennent d’une position claire : pas de base militaire fran- çaise au Niger.
Seul problème, c’est que le général Salou Souleymane s’est déjà entretenu de la question avec son homologue français, l’Amiral Édouard Guillaud, à qu’il a donné l’assurance que le Niger accordera une suite favorable à la requête française. En effet pour l’armée française, l’idéal pour se déployer, c’est Niamey. Selon une fiche établie par l’état-major particulier du président du CSRD, les Français ont avancé le souci d’une meilleure autonomie et de la discrétion pour s’installer à Niamey. A Paris, on met la pression pour obtenir du Niger la décision d’abriter la base. Devant l’instance française, une deuxième ré sur le sujet se tient, le 18 septembre dans la soirée, dans les salons d’honneur de l’aéroport Diori Hamani de Niamey, peu avant le départ de Salou Djibo pour Paris puis New York.
Entre-temps, le Premier ministre Mahamadou Danda et le ministre de la défense, le général Mamadou Ousseïni, ont été sensibilisés par Salou Souleymane, chef d’état-major général des FAN sur l’urgence de donner carte blanche aux forces françaises pour atterrir à Niamey. La décision est alors prise d’autoriser la France à positionner ses avions pour effectuer des vols de reconnaissance au-dessus de la zone probable de détention des otages. Le colonel Badié est chargé d’en informer oralement l’ambassadeur de France à Niamey Alain Holleville dans la nuit même. Ensuite, de lui confirmer par écrit la décision. Ce qu’il fit. Comme s’il doutait que l’information allait être donnée, le chef d’état-major des FAN avait lui aussi téléphoné dans la nuit même à deux hautes personnalités françaises, dont l’Attaché militaire français à Niamey, Hervé Pilette.
Il leur confirme le feu vert du Niger11 pour le déploiement des troupes françaises. Aussitôt dit, aussitôt fait. La France déploie une importante force au Niger : 2 avions Breguet Atlantique avec 5 équipages 1 avion Falcone 50 avec 2 équipages Au total, 115 militaires français de tous grades ont été déployés au Niger pour participer à la traque des ravisseurs des employés d’Areva et de son sous-traitant Vinci. Pendant ce temps, côté nigérien, une cellule de crise est mise en place, sous l’égide du SP du CSRD, pour gérer le dossier des otages. La première ré de la cellule convoquée le 19 septembre 2010 échappe de peu à l’échec total. Alors que les participants devaient se retrouver à la «Villa verte», épicentre du pouvoir CSRD, plusieurs d’entre eux sont aiguillés vers la Primature.
Selon le diplomate nigérien Aboubacar Abdou, participant à cette ré, il y a eu pendant les discussions «des échanges très virulents entre le ministre de l’Intérieur Cissé Ousmane et le ministre de la Défense, le général Mamadou Ousseïni, et que les officiers auraient convenu de proposer au Chef de l’État la destitution du ministre de l’Intérieur [à son retour de New York]». La crise des otages crée donc une crise au sein de la junte. La situation restera en l’état jusqu’au retour à Niamey du général Salou Djibo le 26 septembre 2010. Il trouve alors sur son bureau une fiche de son état-major particulier datée du 27 septembre 2013. Celui-ci recommande la conduite à tenir dans la crise des otages : « Le positionnement des troupes françaises sur le territoire national nuit gravement à l’image du Niger en général et des Forces armées nigériennes (FAN) en particulier.
En effet, il donne l’impression que les FAN sont incapables de faire face à la menace que constitue AQMI et qu’elles ont besoin du renfort de la France. La présence du détachement français au Niger ne se justifie plus et ne s’est d’ailleurs jamais justifiée. En effet, bien qu’il eût été évident dès les instants ayant suivi l’enlèvement que les otages avaient été conduits au Mali, les Français ont demandé à établir leur base à Niamey, prétextant y disposer d’une meilleure autonomie et de la discrétion requise. Ainsi, il est urgent de convenir avec les Français d’une date pour mettre fin à ce détachement qui n’est plus fondé, en se référant à l’avis même du CEMA [Chef d’étatmajor des armées]français qui a déclaré qu’une action militaire pour la libération des otages n’est pas à l’ordre du jour». Plus loin, le chef d’état-major particulier du chef de la junte de conclure :
«La présence du détachement militaire français pose un préjudice sérieux à la souveraineté nationale. En effet, elle remet en question l’aptitude des Forces de défense et de sécurité à mener une quelconque lutte contre AQMI. En outre, cette présence dont le but premier était de mener des actions en mesure de participer à la libération des otages n’est plus pertinente avec la nouvelle attitude adoptée par les autorités françaises qui ont exclu la possibilité d’une opération militaire contre les preneurs d’otages. Enfin, pour éviter qu’à l’avenir de telles situations ne se reproduisent, les autorités nigériennes doivent rediscuter avec les différents partenaires le mode de sécurisation des sociétés minières. Il serait plus convenable que ces sociétés contribuent véritablement, aux côtés de l’État, à la création d’une force spéciale pour la sécurisation des sites stratégiques.
Cette force pourrait être construite avec l’esprit des forces spéciales et dotée des moyens aériens légers (Hélicoptères de combat et de reconnaissance, Drones armées et de reconnaissance, etc.). Cependant, toute cette démarche ne pourra donner de résultat probant sans une implication forte des services de renseignement qui pour l’instant méritentune restructuration profonde ». La crise des otages restera le dernier acte de collégialité de la junte nigérienne. Moins d’un mois après l’enlèvement des 7 employés d’Areva et de son sous-traitant, le Secrétariat permanent du CSRD est supprimé le 10 octobre. Son titulaire, le colonel Abdoulaye Badié, a été rétrogradé au rang de simple membre de l’instance dirigeante de la junte. Un autre acteur principal de la crise, le colonel Abdou Issa Sidikou est relevé de ses fonctions à la tête de la Garde nationale.
Coup sur coup, le colonel Amadou Diallo est débarqué de son poste de Commissaire du gouvernement près le tribunal militaire puis de ses fonctions de ministre de l’Équipement. Tous trois seront, dans la foulée, arrêtés avec le lieutenant- colonel Amadou Boubacar Sanda pour «complot contre l’autorité de l’État». Pendant que la junte se déchire à Niamey, les 7 otages voient leur détention se prolonger dans le Nord du Mali. Trois d’entre eux, le Malgache Jean-Claude Rakatorilalao, le Togolais Alex Awando et la Française Françoise Larribe, seront libérés le 25 février 2011 contre le paiement d’une rançon estimée à près de 13 millions d’euros. Les 4 autres sont encore aux mains de leurs ravisseurs.